11 Août 2014
Jean et Hermine avaient bien grandi et la vie devenait difficile pour Luna. Elle perdait ses forces physiques progressivement, mais son esprit restait vif. Cependant Lisa s’inquiétait pour elle quand elle se rendait seule dans la forêt pour récolter ses baies et autres écorces. Elle ne craignait pas les animaux ou les mauvaises rencontres, mais seulement que sa mère ne fasse une mauvaise chute ou un malaise.
Ses craintes avaient redoublé depuis que Pierre avait eu son accident dans des circonstances similaires. Comme à son habitude il partait seul lorsque le bois venait à manquer, mais un soir d’octobre, il tardait à rentrer et les hommes du village qui étaient partis à sa recherche l’avaient ramené inconscient. Un tronc vermoulu avait éclaté sous sa cognée et il était resté enseveli sous les branchages pendant plusieurs heures. Malgré les soins continus de Luna, il n’avait repris conscience que quelques minutes avant sa fin. Luna n’avait eu que très peu de temps pour le serrer dans ses bras et lui redire son amour avant qu’il ne lâche prise. Il lui demanda de l’excuser de la laisser seule, et la remercia de leur vie d’amour, puis les yeux rivés à elle, il laissa tomber sa main le long du lit et s’envola vers l’autre monde.
Dans les mois qui suivirent, Luna semblait avoir perdu son énergie vitale. Elle continuait à se lever le matin, à faire son travail, à sourire à sa famille, mais ses yeux étaient éteints. Lisa se demandait combien de temps allait durer cette errance, et si sa mère allait jamais retrouver un peu de joie de vivre.
C’est à cette période que l’on vit arriver au village, une vieille connaissance. Seuls les anciens se souvenaient de son histoire, mais Luna le reconnut aussitôt. Il venait lui demander son aide pour sa fille qui portait un enfant et qui était malade. Le revoir, réveilla en elle des souvenirs à la fois heureux et douloureux, puisque son cher époux n’était plus là pour se les remémorer avec elle. Il s’agissait de Tristan. Il avait bien changé, mais son regard où la curiosité et l’angoisse se mêlaient, était toujours le même, et Luna ne l’avait jamais oublié. Il était devenu Prévost des Marchands de la ville de Lyon, en succédant à son père, son allure trahissait sa grande richesse. Mais c’était un homme blessé par la vie qui revenait demander son aide à Luna. Angoissé pour la vie de son enfant, il avait pensé à Luna en ultime recours.
Lisa s’insurgea contre cette idée, en voyait que sa mère hésiter à accepter :
Tristan, resté en arrière, baissait la tête. Il sentait que ce qu’il demandait à Luna était probablement inutile. Depuis qu’il avait vu combien elle semblait avoir vieilli, il commençait à regretter d’avoir fait tout ce chemin.
Hermine s’approcha de lui, lui prit la main et dit :
Lisa avait poussé sa mère dans la chambre, et refermé la porte derrière elles, pour tenter de la convaincre de renoncer à ce projet.
Lisa qui n’avait plus la force de se rebeller, baissait la tête et pleurait en silence.
En disant ces mots, Luna détacha la statuette de son cou, et la passa autour du cou de Lisa. La statuette s’illumina de rouge un bref instant, puis retrouva sa texture muette.
Elle prit Lisa dans ses bras et la tint serrée contre elle de longues minutes, en lui caressant les cheveux. Les sanglots de sa fille lui fendaient le cœur, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas reculer. On ne combat pas son destin.
Les deux femmes revinrent dans la salle commune, main dans la main. Tristan, Lancelin et les enfants les regardaient avancer l’une contre l’autre, les yeux baissés vers le sol, en silence. Au cou de Lisa se balançait la statuette.
Hermine comprenant qu’elle ne reverrait pas sa grand-mère avant longtemps, se jeta contre sa jupe. Pour Luna, qui avait toujours été si forte, ce fut la goutte d’eau, et les larmes la submergèrent brusquement. Elles pleurèrent dans les bras l’une de l’autre, puis Luna se redressa et se tourna vers Tristan.
La dernière soirée de Luna avec sa famille fut courte et riche en émotions. Le lendemain, le convoi quitta le village avec les premières lueurs de l’aube. Lorsque le charriot qui portait Luna passa sur le chemin du bois, la Louve blanche qui s’était installée sous un chêne, pour les regarder passer, poussa un hurlement déchirant, qui fendit le silence.
Luna se retourna, leva la main vers elle en signe d’apaisement, et ne baissa le regard que lorsque l’animal eut disparu entre les arbres.
A suivre...