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Promenades avec Marie-Christine Grimard

Aime la vie et le partage d'émotions, et danse avec elles en mots et en images, pour que le chemin vers les étoiles soit toujours bleu.

Les Filles de la Lune ( Partie 17)

Trois semaines s’écoulèrent où la vie suivit son cours, sans nouvel incident.

Pierre ne s’éloignait pas de la maison, et surveillait l’état de Luna, sans en avoir l’air. Celle-ci semblait être devenue plus raisonnable, se ménageant des temps de repos, où elle s’allongeait, le chien à ses pieds surveillant ses moindres mouvements. La lune avait entamé son nouveau cycle, et dans quelques jours elle serait pleine. Luna comptait les jours, un peu inquiète, mais n’en laissait rien paraître, pour ménager Pierre.

La mère de Luna passait une grande partie de ses journées avec sa fille, l’aidant pour ses tâches quotidiennes et surveillant la préparation des décoctions.

La réserve de bois était presque vide, aussi Pierre demanda à Tristan et Bertrand de l’accompagner dans la forêt pour faire une coupe, plus rapidement, et ne pas laisser son épouse trop longtemps. Tristan était heureux de pouvoir se rendre utile, pour la première fois depuis son accident. Les trois hommes travaillèrent vite, et avaient rempli leur charriot de bûches en quelques heures. Ils reprenaient le chemin du village en longeant l’orée du bois, lorsqu’un hurlement déchira l’air. Le cheval se cabra, déséquilibrant la cargaison, et Pierre le maitrisa difficilement.

Les trois hommes tournèrent la tête vers la forêt, et restèrent pétrifiés. Pierre étendit la main devant lui, en signe d’apaisement pour signifier à ses deux compagnons de ne pas bouger. Une louve blanche se tenait assise au pied d’un grand chêne, les fixant de son regard flamboyant. A ses côtés, un louveteau était immobile, dans la même position que sa mère. Les trois hommes n’osaient plus parler, Pierre serra le licol de son cheval pour qu’il se calme. Un silence pesant enveloppait la scène.

Les Filles de la Lune ( Partie 17)

La louve se détourna des trois hommes et fixa le chemin du village, où Luna venait d’apparaître. Pierre retint un cri, observant son épouse, sans oser intervenir. Elle prit le chemin de la forêt, montant péniblement la côte en direction de la louve blanche. L’animal, comme s’il comprenait sa fatigue, se leva et courut à sa rencontre, suivit de son louveteau. Pierre voulut s’élancer vers eux, mais ses deux compagnons le retinrent par la manche.

- Non, dit Tristan, ne bougez-pas !

- Elle est en danger, répondit Pierre. Lâchez-moi !

- Je ne crois pas, dit Bertrand, regardez les, on dirait qu’elles se parlent.

Pierre s’immobilisa, regardant Luna, qui s’était arrêtée à quelques mètres de la Louve. Elles s’observaient sans bouger, enfin l’animal franchit l’espace qui les séparait à petits pas, puis s’allongea devant Luna en signe de respect. Le jeune louveteau s’approcha à son tour et imita sa mère. Luna s’agenouilla devant eux, et posa une main sur chacune de leur tête. La scène semblait figée, et le silence était retombé sur la plaine. Les hommes attendaient, respirant à peine, figés devant cette image extraordinaire.

Enfin la louve se redressa sur ses pattes dominant brusquement Luna, imité par son petit. Puis les deux animaux posèrent leurs museaux sur le ventre de la femme, durant quelques secondes qui parurent interminables à Pierre.

Luna prononça quelques mots dans une langue que Pierre ne connaissait pas, comme une mélopée venue du fond des âges, comme une chanson sortie de ses entrailles. La louve écoutait les mots couler dans le soir, les yeux fermés. Quand Luna se tut, la Louve renversa la tête en arrière, museau pointé vers le ciel et l’on entendit un long hurlement s’élever vers le ciel, déchirant le silence.

Luna se releva péniblement, se tenant le ventre, et Pierre la vit grimacer en se retenant de courir vers elle pour l’aider. Ses deux compagnons hésitaient aussi.

Mais il ne fallut que quelques secondes pour qu’elle retrouve son équilibre et qu’elle se redresse fièrement, les mains ouvertes en direction de la forêt. C’est le signal qu’attendaient les animaux, qui s’élancèrent vers l’orée du bois. Arrivés près des premiers arbres, la Louve blanche s’arrêta, se retourna vers Luna, la fixant de ses yeux de feu, et hurlant de nouveau, s’engouffra dans les fourrés. Le louveteau sembla hésiter, et imitant sa mère, poussa un vagissement comique puis la suivit en trottinant.

Luna sourit tendrement à cette dernière image, puis repris le chemin du village, aussi vite que lui permettait son fardeau.

Pierre courut vers elle, à la fois soulagé du départ des loups, et inquiet de ce que devaient penser ses deux compagnons.

- Luna, cria-t-il en arrivant vers elle. Attends-moi !

- Pierre, répondit-elle dans un sourire. Je ne pourrais pas t’échapper ce soir, de toute manière. Qu’y a-t-il ? Tu sembles nerveux !

- Que faisais-tu à l’instant ? Pourquoi la Louve est-elle sortie du bois ?

- Je lui demandais de m’aider pour l’épreuve qui m’attend, répondit Luna en le fixant.

Elle ne savait pas ce que pensait vraiment Pierre de ses dons particuliers, puisqu’il n’avait jamais voulu aborder le sujet jusqu’ici. Mais elle savait qu’il l’aimait, et était prêt à accepter toutes ses différences. Ce qu’elle lut dans ses yeux la réconforta.

- Ne te préoccupe pas plus longtemps, de tout ceci, mon Pierre. Ce soir, je serai délivrée et ta fille sera là. Tu auras deux femmes à aimer.

- Je voudrais en être aussi sûr que toi, répondit Pierre d’une voix hésitante.

- Il est temps, maintenant, coupa Luna, en serrant les dents. Aide-moi à rentrer au plus vite.

Pierre remarqua soudain, ses traits tirés et sa pâleur. Il l’a souleva dans ses bras, comme un fétu de paille, et l’emporta, marchant à grand pas, ne sentant plus sa fatigue, ni le poids de sa femme. Ses deux amis lui emboitèrent le pas en jetant au couple des regards inquiets.

La mère de Luna les attendait sur le seuil de leur maison, sachant déjà ce qui se préparait. Pierre franchit la porte sans reprendre son souffle et déposa son épouse sur leur couche. Il déposa un baiser sur ses lèvres, puis devant le regard hostile de sa belle-mère, il sortit en fermant la porte.

Il rejoignait ses compagnons et ensemble ils rangèrent leur coupe de bois, ce qui lui permit de s’occuper les bras, alors que son esprit se tordait d’angoisse. Il tendait l’oreille mais aucun son ne filtrait à l’extérieur de la maison. Lorsque les hommes rentrèrent à la nuit tombée, leur dîner était prêt au coin de l’âtre, et ils s’installèrent pour manger en silence.

Personne n’osait parler, tant l’atmosphère était lourde. Après de longues minutes, Tristan se décida à rompre le silence :

- Votre épouse est un être exceptionnel. Elle n’aura aucun mal à mettre au monde votre enfant, avec la force qui est la sienne et tous ses sortilèges. Ne vous rongez pas les sangs, ainsi mon ami !

- Ne dites pas une chose pareille, répliqua Pierre, agacé. Luna n’utilise aucun sortilège, elle suit simplement son instinct de vie, et elle met ses dons au service de la communauté. Mais ce soir, elle est seule, avec sa souffrance et j’ai peur, pour la première fois depuis que je la connais.

- Je crois que rien ne pourrait l’abattre, renchérit Bertrand. Vous avez vu ce que cette Louve a fait tout à l’heure ? On aurait dit qu’elle lui parlait !

- Je crois que c’était bien le cas, répondit Pierre en baissant la voix. Même si ces chose-là me dépassent ! Je vous conjure de ne parler de cela à personne lorsque vous quitterez notre village. Les esprits obscurs condamnent si vite ce qu’ils ne comprennent pas, je crains pour la vie de ma femme, si des bruits venaient à courir sur ses dons.

- Nous avons bénéficié de ses dons, et nous ne pourrions les condamner, dit Tristan, une main posée sur le cœur.

Pierre s’approcha de lui, et lui donna l’accolade.

A cet instant, un cri déchirant traversa la pièce.

Pierre se retourna brusquement vers la porte de leur chambre, et fit un pas dans cette direction, mais un second cri l’arrêta, plus faible celui-ci.

C’était le vagissement d’un nouveau-né, une voix aigüe et douce à la fois. La plus belle voix qu’il n’avait jamais entendue.

Au même moment, au cœur de la forêt, on entendit la Louve hurler sa mélopée, en harmonie avec le cri de l’enfant, comme un salut venu du fond des âges.

A suivre ….

Les Filles de la Lune ( Partie 17)
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